Elle

Elle est là, avec nous. Mais sommes-nous vraiment là, avec elle ?

Oui, elle m’a vu et elle m’a tout de suite reconnu ! Elle porte ses mains vers son cœur ; ça fait mal, je le sais, mais son sourire confirme que c’est le genre de douleur qu’on apprécie.

Pourquoi personne ne lui a rien dit ? Ce n’est pas la première fois. Si un jour son cœur s’arrête de battre à cause de moi… Je préfère ne pas y penser.

Nous discutons. Elle semble en pleine forme, si l’on néglige le fait qu’elle est sur un lit médicalisé qu’elle ne quitte plus que quelques heures par jour. Elle me demande si mon amie m’a appelé récemment. Elle le fait à chaque fois. Elle a moins de mal que moi à se rappeler de son prénom, celui de cette copine d’il y a dix ans. J’habite à Paris maintenant. Elle le sait pourtant ; elle regrette le temps où l’on faisait les mots croisés ensemble, il y a dix ans.

Soudain, je suis moche.

Fais attention, elle risque d’être grossière, on m’a dit. Des années de pudeur s’envolent sans prévenir. Plus besoin de garder sa face, après des années passées à être une bonne fille, une bonne femme, une bonne mère et grand-mère.

Je n’en suis pas victime, elle rigolait. Ella l’a toujours fait. Jouons, cuisinons, bricolons, rigolons… Ces mots qu’elle a utilisés pour rythmer une grosse partie de mon enfance ont grandement influencé la personne que je suis aujourd’hui. Je lui dois peut-être plus que je ne le pensais.

Je dois y aller. Déjà ? Oui, mais on se voit samedi. Samedi ? Oui, on fête Noël. Déjà ? Oui, c’est la seule date où tous tes enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants sont disponibles. Tout le monde sera là ? Presque. Elle a su me retenir, mais je dois y aller. Je ne pourrai pas dormir, je suis trop émue. Essaie quand même, on se voit samedi.