De l’équilibre, et cette fâcheuse tendance de la vie à vouloir le retrouver

Si “huh ?” a été votre réaction, je vous comprends. Je m’explique.

On dit toujours que la vie n’est pas juste, mais il s’agit en fait d’un malentendu : la vie est, en fait, trop juste. Je m’explique une fois de plus en prenant ma journée comme exemple.

Le corps humain est une machine très délicate. Privez-le d’un de ses besoins primaires pendant quelque temps et il se débrouillera pour vous faire comprendre que quelque chose ne va pas. Dans mon cas il s’agit du sommeil. Pendant toute une semaine je me suis couché aux environs de 2h-3h du matin et je me suis systématiquement réveillé 2 minutes avant que le réveille ne sonne à 7h30. Aujourd’hui mon corps semblait savoir qu’il n’était pas impératif d’être debout à cette heure ingrate et a décidé de dormir jusqu’à 9h. On commencera à garder un score maintenant. “Grasse mat’” imprévue mais sans conséquence : +1 point, mon solde est donc positif ; la vie est juste.

J’ai le temps, avant de partir au bureau, de me couper les cheveux, préparer ma valise, avancer dans mon travail et savourer un délicieux brunch qui, je ne le savais pas à ce moment-là, devra me faire tenir jusqu’à 23h. Je n’ai pas eu d’accident avec la tondeuse, je n’ai rien oublié pour la semaine, le travail est fait et il est 21h24 et le brunch tient encore : +4 points pour moi pour un total de 5 ; la vie est juste.

Je pars au bureau. Il y a un nombre impressionnant de personnes dans ma rue et jusqu’au métro. Je dois monter dans la rame avec un groupe d’étudiants étrangers. Ils font beaucoup trop de bruit et il fait chaud. Il y a à peine assez de place pour moi et ma valise et je transpire. J’arrive au bureau. Bilan : -3 points pour les problèmes dans le métro, 2 points à ma faveur ; la vie est juste ?

Arrivé au bureau, les conséquences d’une semaine en déplacement se sentent. Encore des mails auxquels je n’aurai pas le temps de répondre, mais j’arrive quand même à calmer quelques esprits par téléphone.  Encore frustré dans mon travail : -1 point pour un total de 1…

J’ai une réunion à 16h30 avec mon boss pour travailler avec deux groupes d’étudiants. Par miracle ça commence à l’heure ! La réunion se passe très bien, voire même extrêmement bien. Le boss est content et ça a même duré plus de temps que prévu. Une prime à l’horizon ? Non, il ne faut pas rêver non plus… Mais +2 points, pour une réunion, à l’heure, et réussie. Total : 3 points ; tout va bien.

Deuxième réunion, avec le même boss, mais avec une autre équipe. Ça se passe très bien aussi. Tout le monde est content : +1 point. La vie est juste avec un solde de +4.

Mais les deux réunions ont duré plus de temps que prévu. J’ai un train à 20h16 à Gare de Lyon. Arrivé à Charles de Gaulle-Étoile avec suffisamment d’avance, ce n’est qu’à 19h57 que le RER passe. Ça s’annonce mal : -1 point, on revient à 3.

A Gare de Lyon nous courons (oui, j’ai oublié de mentionner que je ne suis pas seul depuis que j’ai quitté le bureau) et j’arrive à mon quai en courant pour voir l’employée de la SNCF agiter les bras pour me signaler qu’il est trop tard. Les portes se ferment à 20h15 et le train part, à l’heure, devant mes yeux. J’hésite sur le nombre de points perdus, mais je me limiterai à un seul. Solde 2. Ça part vite ces points…

Je vais chercher une borne ou un guichet pour changer mon billet de train, afin de prendre le suivant à 20h42. Toutes les bornes sont hors service et il n’y a que cinq guichets ouverts— pardon, quatre : au moment où je m’approche pour faire la queue, on m’annonce que le guichet ferme. Les files d’attente sur les 4 guichets restants zigzaguent dans les halls de la Gare de Lyon, mais ne me rapprochent pas du guichet. Le temps passe vite, mais on a l’impression que personne ne s’en soucie. Je suis loin de pouvoir changer mon billet, donc je sors de la file et je cours, parce que je suis de nouveau en retard. Que du stress et du temps perdu. Je monte dans un TGV, direction Marseille, un weekend sans réservation. Je perds tous mes points, voire un de plus pour l’angoisse : -1 point. Vie de merde !

Dans le train je trouve une place assise. J’espère que personne ne viendra la réclamer. Le trajet est long jusqu’à Avignon et je suis trop fatigué pour le faire debout. Le suspense dure longtemps, puisque le train part 5 minutes en retard. Cinq longues minutes pendant lesquelles j’aurais pu perdre ma place. Le train est parti il y a une heure et je l’ai toujours. Quand je pense que, si mon train était parti 5 minutes en retard, j’aurais pu le prendre… Trouver une place assise et la garder, moins l’angoisse de la perdre nous donne 1 point, je suis à 0. Est-ce ce point d’équilibre que le destin veut atteindre ?

Dans le train, le contrôleur passe. Il existerait apparemment une “tolérance” qui me permet de prendre ce train sans conséquences. Excellente nouvelle : je ne paie rien. Toutefois, pendant que j’explique ma situation au contrôleur, mon voisin de l’autre côté du couloir, se glisse derrière son dos. Lui non plus, il ne paiera rien ; même pas le billet d’origine. Assis dans le train et en règle, sans payer de supplément, +1 point.

Bilan : +1 point. Je suis content pour le moment.

Je vais changer de paysage ce weekend. Ce qui arrive très rarement et normalement m’aurait donné un solde trop positif, mais le destin se charge de régulariser ceci en m’obligeant à travailler (et je me venge en travaillant au bord de la piscine).

Je conclus donc que la vie n’est pas injuste. Tout le contraire même : elle est trop juste et ne cherche qu’à trouver un équilibre près de zéro. Si cette théorie est correcte, je déduis égoïstement donc que mon but sur terre est d’essayer de gagner des points, mais surtout d’en profiter lorsque le solde est positif. Pour cela, il faudra que j’agisse. Je me trouve dans un environnement en ce moment où sitôt je gagne quelques points, sitôt j’en perds, souvent beaucoup plus. Des grands changements sont donc à venir. On verra bien ce que ça donne…